Histoire
Article mis en ligne le 15 mai 2021

Histoire de l'architecture du château de Saché

Les recherches archéologiques menées sur le site du château de Saché ces dernières années ont permis d’en savoir davantage sur l’histoire de l’architecture de ce manoir. Pierre Papin, archéologue au Service de l’Archéologie du département d’Indre-et-Loire, dévoile ici une synthèse des connaissances acquises sur le sujet.


Vue aérienne du Château de Saché et de son mur d'enceinte.

Saché est un débris de château sur l’Indre,
dans une des plus délicieuses vallées de Touraine.

Honoré de Balzac, Lettre à Mme Hanska, Paris, mars 1833.

 

Lorsque Balzac qualifie affectueusement la demeure des Margonne de "débris de château" dans une lettre à Mme Hanska, on devine non seulement sa volonté de l’opposer aux majestueux châteaux de la Loire des environs, mais aussi d’évoquer le passé de ce logis qui a subi de nombreuses transformations au fil des siècles.

 

L’édifice abritant aujourd’hui le Musée Balzac est à l’origine la demeure des anciens seigneurs de la châtellenie de Saché. Le bâtiment que l’on peut admirer actuellement possède une architecture composite, héritée de divers ajouts et modifications s’échelonnant du 15e au 18e s.

 

 

Les origines du « manoir » de Saché

Si ce site possède de longue date l’appellation courante et populaire de « château », l’archéologue médiéviste aura toutefois tendance à réserver ce terme aux grands sites fortifiés comtaux ou royaux (comme Chinon, Loches ou Amboise). Aussi, pour les sièges des fiefs de la « petite » aristocratie, préfère-t-on plus volontiers le terme de « manoir », de « logis seigneurial », voire de « maison forte ».

 

Situé en périphérie du village, non loin de l’église, le monument est installé sur une proéminence naturelle formée par le ruisseau des Barres bordant le site à l’ouest, entaillant le versant sud de la vallée de l’Indre. Si les seigneurs de Saché, par un certain chevalier nommé Guillaume, apparaissent pour la première fois dans les sources historiques au milieu du 13e siècle, il ne reste néanmoins aucune trace de leur logis primitif. La partie la plus ancienne encore en élévation, visible au rez-de-chaussée du manoir, est la salle appelée « tour ronde ». Cette pièce est en fait un ancien colombier, dont on perçoit encore les nombreuses alcôves, plus tard bouchées au mortier. Cet élément, symbole par excellence d’un droit réservé aux nobles, est le seul encore conservé d’un premier logis aristocratique du 15e siècle, dont les autres bâtiments ont aujourd’hui totalement disparu.

 


Fenêtre du 15e siècle, rez-de-chaussée - Château de Saché.

Le logis seigneurial de la fin du 15e siècle

Par la suite, ce colombier primitif a été englobé dans un grand corps de logis rectangulaire. Celui-ci possédait quatre niveaux, distribués par un escalier à vis logé dans une tour polygonale centré sur la façade occidentale. La tour-colombier incorporée à ce bâtiment est alors transformée en cuisine, comme en témoigne encore le « potager » (ancien fourneau), intégré dans l’encadrement d’une baie. Classiquement, le rez-de-chaussée devait être destiné aux communs, tandis que le premier étage, noble, devait être consacré à la réception. Les deux niveaux supérieurs accueillaient les espaces privatifs du seigneur et de sa famille. Ce bâtiment, dont on perçoit encore quelques fenêtres d’origine munies de meneaux et de traverses, ou encore la porte d’accès de l’escalier surmontée d’un arc en accolade, mais également une des cheminées dans l’actuelle billetterie du site, peut être daté de la seconde moitié du 15e siècle. Peu après, à la fin du 15e ou au début du 16e siècle, un premier agrandissement est effectué par l’ajout d’une aile perpendiculaire à l’ouest. Celle-ci surmonte une cave, dont un accès est percé depuis l’ancien colombier. Ce dernier est par ailleurs remplacé par un nouveau, édifié plus au sud, que l’on peut encore observer aujourd’hui.

 

La mise en défend du site au 16e siècle

Cette demeure seigneuriale est alors clôturée d’un mur d’enceinte, ayant la particularité de posséder quelques ouvrages défensifs. Ainsi, la tour actuellement visible depuis la rue du Château possède des ouvertures de tir en forme de trous de serrure inversés, caractéristiques de l’utilisation d’armes à poudre épaulées de type arquebuses. De même, le long du vallon du ruisseau des Barres à l’ouest, le mur est percé de plusieurs baies, dont la forme des ébrasements indique qu’elles étaient destinées à l’emploi de canons de faible calibre. Une grande fosse est aménagée devant le portillon d’accès depuis la levée, et des fossés sont creusés au nord. Cette mise en défend tardive du manoir pourrait être en lien direct avec la période troublée des Guerres de Religions qui secoue le pays entre 1562 et 1598.

 

 


Tour du XVIe siècle, mur d'enceinte - château de Saché.

 

 


Enceinte ouest - Château de Saché.


Plan de l'enceinte du château de Saché.

 

Agrandissements et transformations du manoir aux 17e et 18e siècles

Le corps de logis connait par la suite une deuxième augmentation d’importance, avec la construction d’un nouveau pavillon accolé sur la façade orientale. L’imposante porte donnant sur un escalier d’honneur menant au premier étage, encadré de pilastres de style dorique à bossages arrondis saillants et surmonté d’un fronton circulaire, permet de dater cette phase de la toute fin du 16e ou du début du 17e siècle. À ce moment, des fenêtres du premier corps de logis du 15e siècle sont bouchées, d’autres plus larges sont percées, bien visibles encore sur les façades est et ouest.

 

Puis, à une date imprécise au cours du 18e siècle, le bâtiment subit une modification importante de son organisation. En effet, peut-être en raison d’un état de délabrement avancé, un écrêtage de son couronnement est réalisé, qui concerne à la fois le corps principal de logis, mais aussi l’aile ouest et la tourelle d’escalier. Seul le pavillon appuyé contre la face orientale conserve encore ses trois étages complets. Dans les parties rabaissées, les quatre niveaux du logis primitif sont redistribués en trois. L’aménagement de nouveaux planchers est perceptible aujourd’hui notamment par la réduction des hauteurs de certaines fenêtres du premier étage du logis du 15e siècle. C’est peut-être à l’occasion de ces grands travaux qu’une ultime extension du manoir est effectuée au 18e siècle, avec l’agrandissement de l’aile ouest.

 


Plan du rez-de-chaussée du manoir de Saché avec les principales phases de construction.

 

Façade ouest - Château de Saché.

Jusqu’à nos jours

Le logis ne connaîtra plus d’évolution majeure par la suite. Au 19e siècle, lorsque les Margonne en deviennent propriétaires, seuls de nouveaux cloisonnements seront ajoutés. C’est à cette époque que les salles du premier étage feront l’objet d’une restauration qui comprendra la pose des remarquables papiers peints encore visibles, et qui seront classés au titre des Monument Historiques en 1968 (grand salon) et en 1983 (salle à manger). L’ensemble du logis est simplement inscrit depuis 1932. Le logis subit une importante restauration de 1965 à 1969 qui verra notamment une reconstruction pratiquement complète de la charpente.

 

Pierre PAPIN
Archéologue, Conseil départemental d'Indre-et-Loire

Article mis en ligne en mai 2021